Cet article revient sur des images réalisées lors de voyages photo dans les îles Lofoten, entre 2019 et 2022. A la fois pour montrer, s’il en était encore besoin, la beauté de ces îles, mais aussi pour produire une analyse technique et artistique de ces images, découvrir un peu mieux quels sont les choix photographiques qui produisent ces résultats.
Les Lofoten sont un lieu de rêve pour la photo de paysage. Le mois de mars est le mois que je préfère là-bas, car il offre à la fois suffisamment de temps pour photographier de jour et de nuit (à parts à peu près égales aux environs de l’équinoxe de printemps), et des chutes de neige régulières. Cette neige ravive à chaque fois les paysages. Quelle plus belle émotion que de découvrir un paysage à l’aspect immaculé, où toute trace de piétinement a disparu ?
Image 1 : contourner la banalité : Hamnoy
L‘image panoramique ci-dessus a été prise depuis un point de vue bien connu (et parfois même assez encombré, ces dernières années). Il s’agit du pont routier au-dessus du petit village d’Hamnoy, à la fois port de pêche et centre touristique. En se dirigeant vers Reine, capitale des Lofoten, il est Impossible de manquer ce point de vue célèbre (NB : vous pouvez cliquer sur les images pour les agrandir).
Le choix du format d'image
Le danger toutefois, c’est la banalité des photos résultantes. C’est pour cette raison que j’ai choisi cette fois un cadrage panoramique. Il ouvre l’espace disponible vers un vaste décor qui englobe le village de rorbus rouges, et met en relation le bateau de pêche et le village, qui à l’origine dépendait exclusivement de cette activité. Le sillage du bateau exprime à la fois le mouvement et une connexion entre les éléments.
Problèmes techniques et solutions
Mais, comme je réalise toutes mes images panoramiques non pas par recadrage, mais par élargissement, au moyen de la technique d’assemblage, la réussite de l’image n’était pas du tout assurée. Et cela en raison précisément de ce qui faisait l’attrait de cette image, le mouvement du bateau vers le fond et vers la gauche. J’ai donc attendu, pour que le mouvement soit relativement limité, que le bateau s’éloigne un peu, et j’ai alors réalisé plusieurs séries d’images (groupes de 3 images horizontales) en très rapide succession, pour être assez sûr d’obtenir au moins une série qui fonctionne.
Le fait de répéter la prise de vue permet aussi une accélération dans l’exécution, un “panoramique instinctif” qui est un gage de réussite. Il faut évidemment une vitesse d’obturation assez rapide, car le flou de bougé guette, si l’on n’a pas tout à fait stoppé le mouvement au moment du déclenchement. (1/640 s.)
Le résultat ...
Sur ordinateur, plusieurs séries étaient effectivement convenables, mais pas toutes. Le principal danger était en fait que le sillage soit visiblement “brisé”, plus que le déplacement du bateau. Je suis plutôt satisfait du résultat, qui peut permettre en outre un tirage de bien meilleure définition qu’une image recadrée.
Image 2 : motifs glacés, Flakstadpollen
Le principal attrait photographique des Lofoten, ce sont ses fjords enneigés et glacés, vraiment spectaculaires et sauvages, quoique à portée de main, car desservis par de bonnes routes. Certaines années, l’intérieur des fjords et des baies est totalement pris en glace, ce qui permet nombre de photos au grand-angle, avec des premiers plans très intéressants. Une bonne gestion de la profondeur de champ s’impose dans ce cas !
Impact visuel immédiat et grand angle
Ce qui m’a immédiatement intéressé ici, ce sont les motifs sur la glace, dans un fjord très peu profond (Flakstadpollen) qui permet un grand nombre de cadrages différents, car il est possible d’y marcher sur la glace sans réel danger. On peut alors se placer au plus près d’un premier plan intéressant, et travailler ses perspectives. Ici, outre les motifs à droite, qui procurent du détail et de la variété, j’essaie de suggérer la 3ème dimension, la profondeur et la distance, par le chemin visuel qui s’établit entre le rocher couvert de glace à gauche et le pic central (du fait de mon placement). J’essaie de construire, comme souvent au grand-angle, une diagonale gauche-droite qui apporte du dynamisme à l’image, en dirigeant le regard.
Le placement du photographe
Pour réaliser ce type d’image, qui donne beaucoup d’importance au premier plan, il est nécessaire de se placer souvent très bas. Je suis à genoux ou assis sur la glace, et à 6 ou 7 mètres du rivage. Il faut alors que votre trépied vous permette un placement aussi bas (les trépieds à colonne ne le permettent pas). Ou trouver des solutions en plaçant le boîtier sur la glace ou presque. Souvent, il est nécessaire d’utiliser l’écran arrière amovible, car la position très basse du boîtier ne permet pas la visée. Dans tous les cas, c’est l’efficacité du cadrage qui doit déterminer la position du boîtier, si inconfortable soit-elle. Accepter de sortir de sa zone de confort est souvent nécessaire, en photo aussi ! Dans ce cas précis, comme je guidais un stage, j’ai désiré être plus mobile et j’ai cadré, exceptionnellement, sans trépied, au 1/60 e de seconde à 800 iso.
Problèmes techniques et solutions
Le cadrage trouvé, ce qui est le plus difficile et doit retenir toute votre attention, subsistait pourtant un important problème technique, l’exposition. L’œil humain gère très bien une situation comme celle-ci, avec l’essentiel du fjord dans l’ombre (tout le premier et second plan en fait) et les montagnes sous éclairage direct au fond. Mais ce n’est absolument pas le cas (encore) d’un appareil photo. Même si ceux-ci font des progrès constants en dynamique (leur capacité à représenter un écart de luminosité important, exprimé en IL ou en diaphragmes).
J’ai donc utilisé un filtre dégradé hard sur le haut de l’image, qui filtre les montagnes lointaines et le ciel. La transition entre les zones d’ombre et éclairées est nettement délimitée, d’où le choix d’un filtre de transition hard (0.6 ND (2 diaphs), si mes souvenirs sont bons). Pour utiliser des filtres sur un très grand angle à lentille bombée comme ce 14-24 mm 2.8 Nikon, en monture F (le Nikon Z 14-24 mm 2.8 est plus simple à filtrer), j’employais une monture spéciale de 150 mm (Lee filters). Et pour atténuer encore les hautes lumières et révéler les ombres, j’ai utilisé aussi un polarisant spécial, le polarisant carré sans rotation de 150 mm fabriqué par Nisi (pas d’équivalent chez Lee filters à ce moment).
Lorsque les contrastes sont intenses comme ici, et même si l’on utilise des filtres, il est utile de bracketter à la prise de vue. Une séquence de 3 images à -1, 0, + 1 par rapport à l’exposition nominale (ou de 5 images à -2, -1, 0, +1, +2) permettra éventuellement, et pour ne rien laisser au hasard, de rattraper des ombres trop denses ou des hautes lumières écrêtées, en post-production.
Profondeur de champ et hyperfocale
Il faudra aussi prêter une grande attention à la mise au point. La profondeur de champ doit être totale sur toute l’image, des premiers plans très proches (ici à 50 cm seulement) aux pics lointains. On fait dans ce cas usage de la mise au point sur l’hyperfocale, une notion souvent incomprise par les photographes qui ne pratiquent pas régulièrement le grand-angle. L’hyperfocale est, pour une focale et un diaphragme donné, la plus proche distance de mise au point qui permette d’être net jusqu’à l’infini, et donc de maximiser la profondeur de champ pour une focale et un diaphragme précis.
Des applications comme PhotoPills nous permettent de visualiser et de calculer l’hyperfocale en cas de besoin. En cas de mise au point sur l’hyperfocale, mettons à 2m 50, la profondeur de champ s’étendra de la moitié de l’hyperfocale à l’infini, soit de 1,25 m à l’infini. Mais concrètement, sur le terrain, il est bien plus rapide et efficace de mettre au point à une distance du double de votre premier plan le plus proche (un choix résultant de la règle qui vient d’être exprimée). Et ensuite de fermer suffisamment pour s’assurer d’être net à l’infini (on contrôle ce dernier point en zoomant sur l’écran, au besoin). Ici, le premier rocher étant à 50 cm, j’ai fait une mise au point à 1 m et j’ai fermé à f/13, ce qui est déjà assez fermé pour un 14 mm et me procurait une profondeur de champ suffisante. Fermer à f/16 ou f/18 aurait eu des conséquences sur la netteté globale (en raison de la diffraction), ce que j’ai préféré éviter.
Image 3 : Eglise rouge et aurore, light-painting
Il existe une église de bois rouge aux Lofoten, que je trouve absolument superbe : simplicité, couleur, élégance, sont des termes qui la définissent parfaitement. Si l’on y ajoute à cette belle architecture traditionnelle la possibilité d’une aurore boréale en arrière-plan, alors on se prend à imaginer, à prévisualiser plus précisément des images possibles. J’avais en tête cette image depuis mon premier voyage photo aux Lofoten, en 2016. Mais il y a parfois loin de la coupe aux lèvres.
Patience et longueur de temps ...
Il faut que tous les éléments s’alignent, et ce fut le cas trois ans plus tard, lors d’une belle nuit de mars 2019. Ce qui a encore ajouté à ma satisfaction, c’est d’avoir pu réaliser cette image avec tout un groupe, dans ce voyage photo Lofoten, et de l’avoir en partie créée, activement, pour chacun.
L’aurore boréale, pas très intense, mais idéalement placée derrière l’église, permettait un contraste idéal de couleur, vert et rouge, comme dans ma prévisualisation de la scène.
Mais, comme souvent dans la réalité, il y avait un hic. L’image rêvée fonctionnait mal : l’église n’étant pas éclairée sur cette face la nuit, mais au contraire sur son autre face, tout était très sombre, le rouge disparaissait. Il fallait trouver un moyen de révéler la couleur de l’église.
Techniques créatives en appoint
Ce moyen technique ? C’est le light-painting. J’ai toujours avec moi plusieurs lampes torches techniques (Coast), à faisceau variable, de différentes puissances, et je les utilise pour apporter, si nécessaire, un peu de lumière sur les premiers plans, en cas de contrejour, sur des couchers de soleil ou des aurores boréales par exemple. Sur la neige, très réflective, il faut souvent faire plusieurs essais et peindre par intervalles très rapides, par touches assez instinctives. Je ne pratique pas le light painting en soi comme technique créative, ici, mais comme une technique d’appoint pour des photos qui doivent rester naturelles.
Tous les photographes, sur mes conseils, avaient installé leur appareil sur pied et programmé, en manuel, une exposition de 30 s à f5.6, à 1600 iso, pour des résultats stables et uniformes. Ces 30 s. me permettaient de déclencher mon appareil, d’entrer dans la scène, et de me déplacer à plusieurs endroits pour l’éclairer.
Ces réglages assureraient, nous l’avions contrôlé, une exposition parfaite de l’aurore et des éléments plus clairs du fond. Ainsi qu’une netteté suffisante pour les bouleaux du premier plan, que nous avions décidé d’intégrer dans une composition en grand angle (15 mm).
Peindre avec la lumière
Il ne me restait plus qu’à entrer en scène, pour apporter la lumière manquante dans l’image. Habillé en vêtements sombres, j’ai pu me déplacer (constamment) dans la scène sans laisser ma trace (autre que mes pas dans la neige …) sur l’image finale. Il faut, dans ce cas, peindre par touches relativement rapides, en veillant à ne pas oublier certaines parties du bâtiment, et en évitant de s’attarder sur les zones de neige très réflectives, sous peine de surexposition immédiate.
Plusieurs essais sont souvent nécessaires pour une image plaisante et sans défauts, aussi naturelle que possible. Une bonne expérience de l’éclairage au flash est bien sûr un atout pour se donner une idée plus précise du résultat ultime du light painting.
En conclusion
Ne vous laissez pas décourager. Si vous avez rêvé d’une image particulière, si la prévisualisation que vous avez de cette image, possible sous certaines conditions, vous hante littéralement, alors vous trouverez le moyen de la réaliser.
Et le faire avec des amis ou en groupe ajoute encore à la satisfaction que vous pourrez en retirer, car elle sera partagée.
N’hésitez pas à partager cet article sur les réseaux ou, mieux encore, à commenter et échanger avec moi sur cet endroit et ces techniques ! Et pour voir le voyage photo Lofoten, c’est ici.